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AMÉLIE

de gagner ma vie par aucune espèce de travail, je sentis tout le vice de mon éducation : je reconnus que l’homme, dans quelque rang que la fortune le fasse naître, doit employer ses premières années à se donner un talent qui puisse l’élever au-dessus du besoin, s’il plaît à cette inconstante déesse de lui faire éprouver ses caprices. D’un côté, la misère s’offrait, sous les traits les plus hideux, à mes regards épouvantés ; de l’autre, je ne voyais, pour toute ressource, que l’infamie ; mais quelle cruelle alternative !… Le cœur navré de douleur, l’âme abattue, un froid mortel se répandit sur tout mon corps ; je me crus seule dans l’univers ; je fondis en larmes. Ce délire des esprits faibles, le désespoir, s’empara de moi ; vingt fois je voulus me précipiter par la fenêtre : dans mon égarement, je faisais le tour de ma chambre avec autant de promptitude que si j’eusse été poursuivie. Je ne pouvais longtemps résister à tant d’agitations ; excédée de fatigues, affaiblie par tant de mouvements, je me jetai tout habillée sur le lit, pour y chercher des secours que l’impitoyable Morphée eut la cruauté de me refuser.

Quelle nuit j’y passai, ou plutôt quel supplice il m’y fallut endurer ! Non, je ne crois pas qu’il y ait de tourments qui puissent égaler ce que j’ai souffert. Il faut s’être trouvé dans une pareille circonstance, pour en concevoir l’idée. C’est en vain que je voudrais décrire cette