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AMÉLIE

fait qui régnait alors dans la maison ne lui fit rien soupçonner de ce qui s’y était passé ; ce ne fut qu’à l’heure du dîner, quand elle ne vit point venir son ami, qu’elle manifesta quelques inquiétudes ; elle envoya chez lui pour savoir ce qui causait ce retard ; il lui fit dire qu’il s’était, en tombant, fait à la tête une légère blessure qui l’obligeait de garder la chambre ; qu’il espérait que deux ou trois jours suffiraient pour sa guérison.

Après dîner, Victoire me témoigna le désir de l’aller voir, et me proposa de l’accompagner ; j’étais fort embarrassée pour lui répondre, je craignais d’éveiller ses soupçons en refusant tout net, et je redoutais de paraître chez celui que j’avais si maltraité sans le vouloir. Cependant, pour ne pas la contrarier, je promis dès qu’elle renouvela ses instances.

Il est aisé de se faire une idée de la manière dont je fus reçue ; son étonnement ne pourrait se rendre : il ignorait que j’eusse cédé aux sollicitations de mon amie, et pouvait croire que je n’étais allée chez lui que pour jouir de mon triomphe, et l’insulter dans sa défaite ; je crois même qu’il n’eut que cette dernière idée, parce que, dès ce moment, il me voua une haine implacable. Je ne conçois pas comment Victoire, qui le voyait ordinairement libre, gai, et aux petits soins avec moi, ne s’aperçut pas de l’air froid qu’il me marquait. La contrainte que j’avais