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AMÉLIE

m’en conter à ses dépens. On va voir quels étaient les motifs de l’obstination de l’amant, et si les craintes de Victoire étaient fondées.

Je ne m’étais point encore trouvée en tête-à-tête avec lui ; je ne pouvais donc pas connaître ses véritables intentions à mon égard. Il s’était bien quelquefois, en présence de sa maîtresse, permis avec moi des libertés que j’avais toujours su réprimer ; mais cela n’indiquait pas assez clairement qu’il eût jeté des vues sur moi. Il ne lui était pourtant pas difficile de me rencontrer seule à la maison ; Victoire s’en absentait des heures entières, et j’ai souvent remarqué que ce n’était pas par excès de fidélité ; car ces sorties avaient toujours lieu le matin, quand elle était bien sûr que Lechesne (c’est ainsi qu’on appelait son ami) ne pouvait venir : son emploi le retenait presque toute la matinée, et elle comptait un peu sur cette espèce de servitude, pour se permettre des passades lucratives, que quelques femmes charitables se faisaient un devoir de lui procurer.

Un jour cependant qu’elle était sortie, il vint vers dix heures du matin. Je présume qu’il savait qu’il me trouverait seule ; j’étais encore couchée. Il entra dans ma chambre. J’avoue que ce ne fut pas sans crainte que je l’y souffris ; mais quand j’aurais voulu l’obliger de sortir et de passer dans une autre pièce, pour attendre sa maîtresse, cela eut été inutile, parce que je vis bien qu’il ne m’aurait pas obéi.