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AMÉLIE

Victoire avait depuis quelque temps un nouvel amant que je ne lui connaissais pas ; il pouvait avoir trente ans, grossièrement tourné, mais assez bien de figure, bavard à l’excès, superficiel, parlant de tout, sans avoir jamais rien approfondi, et voulant paraître fort instruit, quoiqu’au fond très ignorant. Il avait été autrefois dans la pratique, puis il s’était fait commis ; mais ses appointements ne suffisant point à la dépense qu’il faisait, il était sur les crochets de cette amie qui, pour prix de son amour et des soins qu’elle lui prodiguait, n’en recevait souvent que dédains et mortifications. Cependant, avec tous ses défauts, elle l’aimait éperdument, et aurait tout sacrifié à l’avantage de le conserver. Je ne pouvais pas concevoir cette aveugle frénésie ; il me semblait extravagant de prodiguer tant d’amour à un être qui s’en montrait si peu digne ; et pour moi, il m’eut été impossible de nourrir dans mon cœur une flamme qui n’aurait pas embrasé celui qui l’y aurait fait naître.

Ce singulier galant était toujours de nos parties, et ne voulait jamais souffrir qu’on y admît d’autres hommes que lui, malgré les propositions que faisait souvent sa maîtresse, de me donner un cavalier, pour faire, à ce qu’elle disait, partie carrée ; mais plutôt de peur que trop d’occasions de se trouver seul, ou presque seul avec moi, ne lui inspirassent le désir de