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AMÉLIE

entière connaissance, et elle me quitta pour aller demeurer avec lui. Peu de temps après ils partirent pour l’île de France, où cet ami avait des possessions, et je ne les revis plus.

Quant à moi, je sentis bien que j’étais destinée à servir aux plaisirs de mon trop généreux protecteur. Jusque là, cependant, il n’avait encore été question de rien entre nous. Mais je me familiarisais de jour en jour avec l’idée qu’un moment viendrait où je serais obligée de payer tout ce que je recevais de sa libéralité. Vainement je cherchais un moyen pour me soustraire à l’acquit de la dette énorme que je contractais envers lui. Que pouvais-je faire dans la position embarrassante où je me trouvais ? rien, que d’attendre avec soumission ce que le sort ordonnerait de moi. Je me livrais, quand j’étais seule, à mille réflexions.

— Il y a donc, me disais-je, des moments dans la vie où il est impossible à la fille la plus sage de rester vertueuse, et où la nécessité la contraint de se plier sous le joug qu’elle lui impose ?

Richeville, depuis la sortie d’Adélaïde, me traitait avec plus d’attentions ; tous ses domestiques, et une femme de chambre qu’il m’avait donnée, avaient ordre de m’obéir comme à lui-même. Tous les jours il me menait au spectacle, et je ne rentrais pas sans avoir reçu de sa générosité un présent de mon choix. Tant de