Page:Amélie, ou Les Écarts de ma jeunesse, 1882.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
AMÉLIE

On me laissa libre enfin, et je descendis de cette table, théâtre infâme des plaisirs horribles de mes bourreaux. On ordonna à Adélaïde de rester avec moi, pour m’aider à me r’habiller, et me tenir compagnie ; et les trois scélérats sortirent, emmenant avec eux l’infortuné Georges, qui jeta sur moi, en s’éloignant, un regard où se peignait son désespoir, et qui fit sur mon âme une impression qui ne s’effacera jamais.

Dès que nous fûmes seules, Adélaïde et moi, nous nous regardâmes, sans avoir la force de nous dire un mot ; les larmes, seule ressource de la faiblesse, soulagèrent un peu mes angoisses ; et la pauvre Adélaïde, qu’on avait obligée d’assister à l’opération qu’on venait de me faire subir, mêla ses pleurs aux miens. Je rompis enfin ce silence de mort.

— Eh quoi ! lui dis-je, il est donc sur la terre une espèce d’hommes qui ne cherche ses jouissances que dans les douleurs des autres, et pour qui les raffinements de cruauté, qui font frémir la nature, ne sont que des jeux qu’elle invente dans ses excès pour augmenter la masse de ses plaisirs ? Les cruels ! avec quelle joie barbare ils comptaient les soupirs de Georges ! comme ils insultaient à ses malheurs !

— Ce n’est rien encore que cela, mademoiselle, me répondit Adélaïde, et si je vous racontais les monstruosités dont j’ai été témoin dans cette abominable maison, mon récit seul vous