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AMÉLIE

sacrifice sanglant que cet amant infortuné n’avait pas eu le temps d’achever.

Qui ne sait ce qu’on éprouve dans ce moment critique de la vie ? Ah ! si les douleurs qui accompagnent toujours la perte de cette fleur se pardonnent sans peine à l’amant heureux auquel on accorde la faveur de la cueillir, combien ne nous rendent-elles pas odieux le ravisseur méprisable, qui ne la doit qu’aux moyens violents qu’il a mis en usage pour s’en emparer ?

Aussitôt que ce tigre affamé eut mis un terme à sa voracité, son digne compagnon de débauche se jeta sur les restes sanglants de sa proie ; et sans pitié pour l’état affreux où je me trouvais, il eut la cruauté de renouveler des douleurs que la joie féroce et les propos insultants de ces barbares avaient rendues insupportables.

Ah ! sans doute, la maison où se passaient tant d’horreurs était dans le fond d’un désert, puisque aucun être vivant n’accourut aux cris perçants que je fis, chaque fois que j’essayai de me débarrasser de leurs mains.

Est-il une situation pareille à celle du malheureux Georges, et peut-on peindre les tourments affreux qu’il fut obligé de supporter pendant tout le temps que dura cette scène abominable ? Je crois, pour moi, qu’il n’en est pas de plus cruelle, et qu’il n’y a que ceux que j’éprouvai dans cette circonstance, qui puissent soutenir la comparaison.