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AMÉLIE

avais regagné l’amitié de ton oncle ; si tu étais retombée dans les mains criminelles des premiers auteurs de notre infortune, ou si tu avais pu leur échapper ; mais quelque destin que tu dusses subir, je me sentais incapable de t’oublier : tant il est vrai de dire que les premières semences de l’amour jettent en nous de si profondes racines, qu’on ne peut jamais venir à bout de les extirper entièrement.

Plus le temps s’approchait où je devais être uni à l’aimable Cécile, plus je sentais redoubler mes inquiétudes et mon amour pour toi. Je n’étais cependant pas indifférent aux charmes et aux vertus de cette aimable fille ; je la voyais avec plaisir, et tu dois me croire d’autant plus facilement, que je ne cherche pas à te déguiser la vérité ; je n’avais pas pour elle ce penchant irrésistible qui m’entraînait vers toi, et cette différence, trop sensible, me faisait rougir intérieurement de ne pas mériter les bienfaits dont j’étais accablé. Une tristesse profonde s’était emparé de mon cœur ; une sombre mélancolie avait étendu devant moi son voile lugubre et obscurci la clarté du jour que je voyais encore briller dans le lointain. On s’aperçut bientôt de l’état pénible où je me trouvais ; on m’en demanda les raisons. Cécile fut la première à m’en parler ; mais j’eus bientôt dissipé les nuages qui s’étaient élevés dans son esprit ; elle m’aimait sincèrement, il ne me fut pas difficile de la persuader.