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AMÉLIE

l’abandonner un instant, je remontai sur la berge avec l’intention de voler, s’il était temps encore, au secours de mon malheureux inconnu ; mais ce fut inutilement que je le cherchai des yeux, il avait été vraisemblablement englouti dans une mare d’eau qui terminait ce précipice épouvantable. Ce fut alors que je vis avec effroi tous les dangers qui m’avaient menacée, et je fus un moment sans pouvoir me soutenir. Je pleurai amèrement sur le sort de cet infortuné, ne pouvant concevoir comment j’avais été préservée d’un si cruel destin, moi dont la vie était un scandale perpétuel. Sans chercher à affermir, par cet événement, les fausses idées que j’avais alors, et m’abandonnant plus que jamais, au hasard seul qui m’avait déjà plusieurs fois si bien servie, j’essayai de me tirer du mauvais pas où je me trouvais, et de profiter, s’il était possible, de cette circonstance fâcheuse pour éviter à l’avenir, pour mon compte, un pareil malheur.

Je revins à mon cheval, qui n’avait pas bougé depuis que je l’avais quitté : je me gardai bien de remonter en voiture ; je le pris par la bride pour le ramener sur la route que je n’avais pas perdue de vue. Il ne fit pas la moindre difficulté, me suivit tranquillement, et j’usai de ce moyen pour le conduire jusqu’à Ponte Centino. Il était nuit quand j’y arrivai. Chemin faisant, j’avais réfléchi sur ce que je devais faire dans la