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AMÉLIE

suader. On ouvre, et je vois entrer les monstres qui m’avaient enlevée, suivis de Georges, les mains liées. Parmi ces scélérats, je reconnus le marquis de R…, seigneur du village que nous habitions. Dans les visites intéressées qu’il faisait souvent à mon oncle, à cause de moi, il m’avait fait différentes propositions, que j’avais toujours rejetées, ce qui l’avait déterminé à m’enlever : il est présumable qu’il en guettait depuis longtemps l’occasion, pour avoir si complètement réussi ; mais pour ne pas s’exposer, si l’on faisait des recherches chez lui, il avait jugé plus convenable de me conduire chez un de ses amis, dont la terre était à quelques lieues de la sienne. À peine j’aperçois le malheureux Georges, que je m’élance auprès de lui :

— Ô mon ami ! lui dis-je, en le serrant dans mes bras, et sans faire attention à mes persécuteurs, que la présence de mon amant semble avoir fait disparaître ; ô mon ami ! dans quel abîme de malheur t’a plongé la triste Amélie !

Il me regarde sans proférer un seul mot ; la pâleur a remplacé les roses de son teint ; un froid mortel a passé dans ses veines : l’impuissance où il se trouve de se venger est le premier supplice qu’il lui faut endurer. Je veux délier les nœuds de cette corde fatale, qui tient sa colère captive ; à l’instant un de ces barbares m’arrache d’auprès de mon amant, et les deux autres l’attachent au pied du lit.