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AMÉLIE

s’était emparé de moi depuis mon arrivée, et qu’on m’avait laissée profiter de ses douceurs, pour jouir plus sûrement de mon réveil ; ce qu’il y a de certain, c’est que des bras de Morphée, je passai dans ceux du plaisir, si l’on peut toutefois donner ce nom à la grosse gaîté qui présida l’orgie scandaleuse de ce banquet séraphique.

Il y aurait de la folie à vouloir essayer de retracer les obscénités dont je fus, cette nuit-là, actrice et témoin : il faut être moine pour en inventer et en raconter de pareilles, et ce n’est que dans un cloître que peuvent germer et s’étendre les vices les plus dégoûtants, nés de la paresse et de la fainéantise. Quoi qu’il en soit, jetée, par hasard, dans cette maison de débauche, il fallut bien me prêter, malgré moi, au libertinage de mes hospitaliers, et me livrer, sans réserve, à leur lubricité ; mais deux mois s’étaient à peine écoulés, que je sentis mes forces diminuer, ma santé s’altérer par les veilles continuelles et par les excès de tous genres que j’étais obligée de faire avec ces infatigables libertins. Je songeai sérieusement à me retirer de cette vie trop active, dans laquelle j’aurais infailliblement péri victime de mon dévouement à leurs caprices. La difficulté était de trouver le moyen de sortir de cette infernale maison, dans laquelle j’étais, de jour en jour, plus resserrée, parce que les coquins sentaient combien j’étais devenue nécessaire à leurs plaisirs.