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AMÉLIE

Il était presque nuit : l’endroit où nous étions n’était point passager ; le bon frère crut pouvoir m’abandonner à l’œil vigilant de saint François, et comme son couvent n’était qu’à un demi-quart de lieue de là, il y vola pour déposer sa besace et instruire le père gardien, dont il était le pourvoyeur en tout genre, de la bonne aubaine qui lui était échue. Mes deux enfroqués ne perdirent pas un instant, ils accoururent et me trouvèrent encore dans les bras du sommeil. Le frère me réveilla tout doucement, me parla de son amour pour m’exhorter à le suivre ; mais j’étais si troublée, que je l’entendais à peine, sans m’apercevoir qu’il n’était pas seul. Ils m’emmenèrent, me conduisirent à leur couvent, où on me fit entrer par une porte du jardin, dont mes conducteurs avaient seuls la clef, et je fus introduite, avec mystère, dans l’appartement du révérend père gardien. Tous les religieux étaient déjà rentrés dans leurs cellules : Hilarion comme quêteur, et le gardien à cause de sa dignité, avaient seuls le droit d’enfreindre la règle commune, et Dieu sait si les coquins savaient tirer parti de leur liberté.

Quand les vapeurs qui avaient absorbé ma raison furent entièrement dissipées, je fus bien surprise de me trouver parmi des moines et des femmes, qui se disposaient à prendre leur part d’un repas somptueux qu’on venait de servir chez le révérend : il faut croire que le sommeil