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AMÉLIE

n’avais pas balancé un seul instant à prendre la fuite, la regardant comme indispensable.

J’avais marché toute la journée sans avoir fait beaucoup de chemin, parce que j’évitais la grande route, pour donner le change dans le cas où on me poursuivrait ; et je commençais à me fatiguer, lorsque sur les cinq heures de l’après-midi, passant près d’un petit bois, je fis rencontre d’un capucin, frère quêteur de son métier. L’égrillard avait au plus vingt ans, brun, l’œil vif et frais comme une rose ; un léger duvet couronnait à peine son menton ; du plus loin qu’il me voit, il accourt, et, se débarrassant promptement de l’énorme besace qui contenait sa collecte de la journée :

— Dieu soit loué, s’écrie-t-il en se frottant les mains et de l’air le plus satisfait : que je bénis le ciel de m’être un peu attardé, puisque je fais une aussi belle rencontre ! Dites-moi, la belle voyageuse, ne craignez-vous pas qu’il vous arrive quelque malheur, sur une route déserte, à deux lieues du plus prochain village ?

— Mon frère, lui répondis-je avec un ton hypocrite, je vous avoue que je suis un peu embarrassée dans un pays où je me trouve pour la première fois ; mais je me fie à la Providence ; elle ne m’a point encore abandonnée dans les périls que j’ai hasardés pour dérober ma vie ou mon honneur aux méchants qui, quelquefois, en ont conjuré la perte ; car, quoique je ne sois