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AMÉLIE

Le rendez-vous était pris pour huit heures : inquiète sur les suites d’un événement qui pouvait nous être funeste à tous deux, chaque fois que l’horloge sonnait, je l’accusais de sa lenteur ; j’aurais voulu que cette heure, que je redoutais tant, fût depuis longtemps expirée, et je craignais de l’entendre sonner. Enfin, le marteau a huit fois fait retentir le timbre. L’idée qu’en ce moment mon cher Lelio est aux prises avec un homme plus exercé que lui, me fait frissonner : je me le représente déjà frappé par son adversaire et baigné dans son sang : c’en est fait, me dis-je, mon ami vient de périr, et moi, malheureuse que je suis, victime de mon amour-propre et de ma coquetterie, je vais être livrée aux horreurs de la misère et du désespoir. Le tableau que je me fis me parut si effrayant, qu’une sueur froide se répandit sur tout mon corps, et je tombai sans connaissance.

J’étais seule alors dans ma chambre, privée des secours qui m’étaient nécessaires ; aussi je fus longtemps à revenir de mon évanouissement. Lorsque je repris mes sens, et qu’il me fut possible de distinguer les objets, je jetai les yeux sur la pendule. Il est neuf heures, me dis-je, et Lelio n’est pas rentré. Allons, j’ai tout perdu, mes pressentiments ne se sont que trop réalisés. Mais pourquoi Bernardo ne m’a-t-il rien fait dire ? Et sans plus délibérer, sans parler à personne, je sors dans l’intention d’aller chez cet