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AMÉLIE

et je fis tous mes efforts pour que cette affaire n’eût point de suite ; mais ce fut sans fruit que je mis en avant larmes et prières : il me représenta la honte qui rejaillirait sur lui s’il suivait mes conseils ; je fus forcée de convenir qu’il ne pouvait pas se dispenser d’aller au fatal rendez-vous.

— Soyez parfaitement tranquille, me dit-il, ma bonne amie, je me tirerai, je l’espère, avec honneur, de cette affaire, et pour éviter toute surprise, je vais aller dîner chez Bernardo, qui se fera un vrai plaisir de m’accompagner. Il envoya prévenir cet ami, et sortit peu de temps après, en me promettant qu’aussitôt la querelle décidée il revolerait dans mes bras pour y goûter les douceurs d’un nouveau triomphe.

Je ne m’étais pas jusque-là sentie bien amoureuse de Lelio : l’intérêt plus que l’amour avait fait tous les frais de l’intrigue ; mais les dangers qu’il allait courir pour m’avoir donné la préférence sur une femme qu’il avait aimée, forçaient en quelque sorte ma reconnaissance, et me donnaient des alarmes réelles pour lui : d’ailleurs, je n’étais pas trop rassurée sur le sort qui m’attendait dans le cas où il succomberait. Ce point très essentiel l’emporta peut-être aussi sur le sentiment de ma reconnaissance. Quel que fût enfin le motif qui m’animât, l’homme du monde qui m’eût été le plus cher n’aurait pas alors reçu plus de marques d’attachement.