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AMÉLIE

homme bienfaisant, qui était venu au secours d’une famille malheureuse, en se chargeant de moi.

Tant d’égards de sa part calmèrent mes inquiétudes ; cependant mes idées se confondaient, et, bien persuadée qu’il n’y avait pour moi d’autres moyens que d’abandonner ma barque au gré des vents sur la mer orageuse que je parcourais, je ne voyais pas, sans frémir, les dangers que j’avais à braver jusqu’au port.

Lelio, seul héritier de son frère, se trouvait, à vingt-cinq ans, propriétaire d’une fortune immense et chef d’une des meilleures maisons de commerce de Cadix ; il me montrait de l’attachement, mais il était possible qu’il ne fût pas sincère ; qu’il n’eût d’autre dessein que de satisfaire un caprice, car il avait une maîtresse, nommée Léonida, que son frère m’avait dit fort jolie, et je pouvais craindre de ne pas l’effacer en beauté. Cependant, la cour assidue qu’il me faisait, augmentant chaque jour mes espérances, je me flattais de vaincre encore cette difficulté, pour peu que je voulusse m’en donner la peine. Je dressai donc mes batteries pour attaquer, en même temps, l’esprit et le cœur ; mes efforts ne furent pas inutiles : je sus enchaîner ses volontés à la mienne, avant d’avoir rien fait pour lui qui me fît mériter cet empire absolu.

Quand je l’eus ainsi attaché, comme un esclave, à mon char, et que je fus assez sûre de lui