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AMÉLIE

ses yeux attachés sur moi, il les baissait avec timidité, tant est grand le pouvoir de la vertu sur les âmes honnêtes. Je rougissais intérieurement de tromper un homme dont la passion pour moi croissait de jour en jour, et j’étais au désespoir de n’avoir point à lui offrir un cœur digne de son hommage.

Le huitième jour enfin, il osa me parler d’amour. Je rejetai bien loin cette idée dangereuse ; j’affectai de paraître décidée à ne contracter aucun engagement avec les hommes, que je me peignis tous devant lui, comme des séducteurs sans cesse aux aguets pour abuser de la crédulité d’un sexe faible, trop facile à égarer. Cependant, j’admis quelques exceptions à la sévérité de cette règle, parce que je m’aperçus que je l’avais un peu mortifié, et que mon intérêt était de le ménager. Il me parut flatté que je ne l’eusse pas compris dans le nombre de ces hommes pervers. Il m’en témoigna sa satisfaction en essayant de m’embrasser. J’eus encore la cruauté de lui opposer de la résistance ; trop de docilité lui fit abandonner l’entreprise : il se retira en se plaignant de mes rigueurs.

Le lendemain, dès qu’il sut que j’étais levée, il descendit et me demanda la permission de prendre le thé avec moi. J’y consentis volontiers, parce qu’enfin il fallait bien, pour le retenir, nouer avec quelque chose le filet que je venais de lui tendre d’ailleurs, je lui avais déjà des