Page:Amélie, ou Les Écarts de ma jeunesse, 1882.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
AMÉLIE

par mégarde chez moi ; comme il était blanc et plié, cet homme, qui ne se doutait de rien, me le remit tel qu’il l’avait reçu, et j’y trouvai le mot d’écrit suivant :

« Ô toi, que j’aime plus que ma vie, souffriras-tu que j’aille, loin de toi, mourir de douleur de t’avoir perdue ; et ne préféreras-tu pas mon amour, à l’or d’un maître absolu qui va te traiter en esclave ! Si tu m’aimes assez pour faire un sacrifice en ma faveur, cette nuit, je trouverai le moyen de te faire sortir de ton appartement par la fenêtre de ta chambre à coucher ; et nous irons, loin de nos tyrans, jouir du bonheur de vivre libres et passionnés.

« Adieu, les moments sont chers ; je vais tout préparer pour l’évasion que je médite. »

Je ne balançai point sur le parti que j’avais à prendre, et je fus bientôt décidée à me laisser enlever. J’aimais réellement l’abbé, et j’appréhendais les ressentiments de milord ; il n’en fallait pas davantage pour lever toutes difficultés. Celle qui me paraissait la plus grande, c’était la sortie de ma chambre par une fenêtre qui donnait, du premier, dans un fossé assez profond ; cependant, je ne voyais pas d’impossibilité à réussir, et je me fiai au génie de l’abbé, auquel l’amour donnerait sûrement du ressort.

Pendant toute la journée, milord ne me fit pas l’honneur de me demander. On me servit chez moi ; je n’en fus que plus libre pour prépa-