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AMÉLIE

hommes que cette avaricieuse créature m’envoyait, sans avoir retiré aucun fruit de ma complaisance, dont elle s’attribuait tout le profit, j’eus le bonheur d’y rencontrer le secrétaire d’un lord, qui me présenta à son maître, auquel je plus. Ce seigneur me retira de l’état d’assujettissement où j’étais, et m’emmena à Londres, où il m’entretint avec magnificence, mais, apparemment qu’il craignit que mon introducteur ne conservât des droits sur sa protégée, car il le laissa à Paris, et il ne reparut point en Angleterre pendant tout le temps que je demeurai chez milord.

Portée, par le hasard, au plus haut degré de splendeur où puisse arriver une femme entretenue, je ne laissai pas longtemps briller les rayons du bonheur qui vinrent luire sur moi ; car une passion violente, que je conçus pour un autre homme que celui qui en était le centre, les fit totalement disparaître. Milord était vieux, je n’avais pas vingt et un ans : les faveurs de la fortune ne purent amortir les fougues indomptables de l’âge, et je perdis tout, pour avoir fait à mon amour le sacrifice de ma raison.

Un jeune ecclésiastique, auquel était confiée l’éducation d’un neveu orphelin, vivait avec nous à la campagne. Le dégoût que m’inspirait un vieillard exigeant, et l’habitude de voir tous les jours ce jeune homme dans une maison d’où la jalousie écartait tout être vivant, excepté