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AMÉLIE

Il y avait déjà quinze jours que j’étais dans cette maison ; tout semblait se réunir pour m’y attacher, quand un matin mon galant, que j’avais entendu nommer Sorbey, et qui, ce jour-là, s’était levé de meilleure heure qu’à l’ordinaire, rentra dans ma chambre, transporté de fureur ; il m’accabla d’injures, en m’accusant d’avoir empoisonné les plaisirs que je lui avais procurés, et de l’avoir livré aux horreurs d’une maladie dont il venait de voir et de ressentir les avant-coureurs. J’eus beau lui protester que j’étais innocente ; que s’il tenait de moi le mal dont il se plaignait, je l’ignorais et le devais à la bassesse d’un homme qui avait abusé de ma faiblesse pour lui, rien ne put éteindre son courroux ; j’en éprouvai bientôt les plus cruels effets. Il fondit sur moi à coups de canne, et m’aurait infailliblement assommée, si l’on ne fût venu à mon secours. La première qui accourut, au bruit que fit Sorbey, fut sa vénérable mère ; elle s’informa du sujet de notre querelle, et voulut à toute force se rendre médiatrice entre son fils et moi : elle eut beau faire, il soutint qu’il ne s’était point exposé, depuis longtemps, à ce danger ; qu’il était enfin plus que persuadé qu’il n’y avait que moi qui fût cause de ce dont il se plaignait. Il m’ordonna de sortir à l’instant de la maison et de ne jamais y remettre les pieds, parce que l’ingratitude dont je m’étais rendue coupable envers lui m’en défendait pour toujours