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AMÉLIE

plus entendre parler de moi ; je crus bonnement ce qu’on me disait, sans faire de réflexions sur un départ précipité qui pouvait être véritable ; mais je fus bientôt en état de connaître un autre motif de son refus, c’est qu’il m’avait mise dans le cas d’avoir de grands reproches à lui faire, et qu’il se serait bien gardé de reparaître devant moi, pour n’avoir pas à rougir de sa conduite à mon égard. Je m’étais flattée qu’étant la cause du désagrément que j’éprouvais, il s’empresserait de m’offrir un asile contre les vexations de la Dupré ; je fus bien trompée dans mon attente.

Désespérée de ce contre-temps, qui me mettait dans l’alternative, ou de retourner en suppliant chez cette méchante femme, ou de m’abandonner à moi-même, sans savoir ce que je deviendrais, mon amour-propre détourna mon attention des conséquences de ma fuite, et mon entêtement fixa mon irrésolution. La tête montée, je me détermine à me loger dans un quartier tout opposé à celui que je viens de quitter, et me voilà en route, très déterminée à ne revenir sur mes pas que pour enlever mes bagages. Il y a lieu de croire que la précipitation avec laquelle je cheminais, jointe à l’air égaré qui me donnait quelques petits mouvements de fureur, me rendaient parfaitement ridicule, car il n’y avait point de passant qui ne s’arrêtât pour me regarder : j’allais cependant toujours mon train ; je m’inquiétais fort peu de ce qu’on pouvait dire et penser de moi.