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AMÉLIE

percer les oreilles : je m’y décidai, malgré le peu de confiance que j’eusse dans ce remède. J’entrai chez un orfèvre où le hasard me conduisit. Une jeune femme y tenait le comptoir ; elle était seule ; elle offre de me faire l’opération. Une main douce et potelée s’empare de l’une de mes oreilles, et l’autre est armée de l’instrument que j’aurais peut-être redouté dans celle d’un homme. À peine elle m’a percé, ô prodige ! ô bonheur incroyable ! je sens s’allumer en moi ce feu de la nature dont je n’avais jamais senti que les étincelles. Transporté de joie, j’achète l’instrument qui me rend à la vie, et quand je veux me livrer, sans réserve, aux plaisirs de l’amour, je le confie à de jolies mains comme les vôtres, qui, en renouvelant l’heureux procédé de ma charmante opératrice, me rendent le pouvoir de servir la beauté.

En achevant ces mots, il tira de sa poche l’instrument en question, et me le remit. J’étais si pressée de voir l’effet de ce bijoux, que je ne me le fis pas redire, et je m’emparai promptement d’une de ses oreilles ; mais le malheureux y avait déjà tant de fois aiguillonné la nature, qu’il ne restait presque plus de place intacte ; cependant, à force d’examiner, je trouvai encore de quoi opérer. Je venais d’enfoncer l’instrument magique : à l’instant, mes yeux se portent sur l’objet de mes désirs qui, jusque-là, était resté immobile : je le vois s’animer et s’apprêter à se