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AMÉLIE

J’étais assise, un peu éloignée des acteurs, pour jouir à mon aise du tableau qu’offrait la vivacité de la scène. Les reproches dont on avait accablé le coupable, les menaces même du supplice, tout cela m’avait procuré une douce satisfaction que savourait, avec délices, ma vengeance exigeante et trop bien servie ; mais je frissonnai d’horreur, quand je vis des apprêts qui me faisaient craindre que, pour m’obtenir plus sûrement, Lebrun ne crût pas même me venger assez par la mort du curé. Celui-ci, convaincu de l’impuissance de ses efforts, livré à la fureur d’un jeune homme bien secondé, qu’il soupçonnait d’être mon amant, en proie à ses alarmes, se croyait à la dernière heure de sa vie, sans pouvoir faire entendre un mot en sa faveur. Il s’était précipité à mes genoux, et semblait me demander pardon de ses outrages, et me prier d’intercéder pour lui. Ma pitié l’avait prévenu, je déliai le mouchoir qui l’empêchait de s’expliquer ; mais je lui enjoignis de ne pas jeter un cri, parce que je le rendrais aux tortures dont je voulais le préserver.

Dès qu’il put parler, il convint avec humilité de ses torts à mon égard, et me demanda quelle espèce de réparation j’exigeais de lui. J’étais fort embarrassée de répondre, et j’allais tout simplement le faire mettre en liberté, en me contentant, pour toute réparation, de la peur qu’on lui avait faite. Lebrun, qui avait un second