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AMÉLIE

augmenter les désirs de celui-ci. Sans pitié pour l’état où il m’a réduite, il se précipite sur moi et met le comble à sa scélératesse en abusant de la supériorité que lui donne un être presque inanimé et hors d’état de lui opposer la moindre résistance.

La douleur, cependant, ranima bientôt mes sens : je me trouvai dans les bras du cruel, qui avait aussi inhumainement consommé ma ruine ; mais tellement maltraitée que, quand il m’eut quittée, après que ses feux amortis lui eurent laissé reprendre un peu de calme, il ne me fut pas même possible de me plaindre de sa cruauté. La honte, le désespoir, le désir de me venger, et tous les divers sentiments qui agitaient confusément mon cœur ulcéré, me rendaient immobile en présence même de l’auteur de ma destruction. Je ne sais ce qui se passait aussi dans le cœur de ce monstre : s’il était enivré du plaisir de contempler la victime sur laquelle il venait d’épuiser tous les traits de la brutalité, ou s’il était encore susceptible d’un regret, en me voyant endurer les tourments que sa victoire m’avait causés ; mais il était resté pétrifié devant moi, sans que je pusse deviner le sujet de cette inaction subite. Enfin, je romps le silence pour lui faire les reproches que méritait sa conduite infâme : il m’interrompt, et d’un air leste, trop voisin de l’outrage pour n’en être pas un aussi, il entreprend de se justifier.