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AMÉLIE

— Nous serons mieux ici, me dit-il en y entrant, personne ne nous interrompra ; nous pourrons, à loisir, nous occuper de ce qui vous intéresse.

Mon inquiétude n’avait pas été, jusque-là, bien grande ; je ne pouvais deviner les véritables intentions d’un homme à qui je rougissais d’en supposer de criminelles ; mais lorsqu’il eut fermé la porte, avec une précaution scrupuleuse, qu’il se fut placé, d’un air satisfait, à côté de moi, tout près de la chaise où il m’avait fait asseoir, je remarquai avec effroi qu’il n’était pas le même. Cette gravité qu’il affectait toujours en public avait disparu dans le tête-à-tête : son teint était animé, ses yeux me lançaient des regards perçants, qui m’obligeaient de perdre contenance chaque fois que ma vue se portait sur la sienne ; et la rapidité de ses gestes, de ses mouvements, ne laissait que trop apercevoir le feu dont il était dévoré. Je voulais parler : les mots expiraient sur mes lèvres, muettes d’étonnement. L’ardent curé ne pouvait m’entretenir de la cause de son agitation, qui était devenue trop violente pour lui permettre l’usage de la parole. Enfin, un baiser qu’il osa me donner, en m’accablant de louanges, bien fades de la part d’un homme que je n’aimais pas, rappela mon courage ; je me levai pour lui faire les reproches que méritait l’abus qu’il faisait de ma confiance : il ne m’en donna pas le temps, m’empêcha de