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AMÉLIE

se repaissait d’avance du doux plaisir d’appeler sa fille madame la marquise, ne croyait pas en faire assez pour jouir en réalité de ce qui la flattait tant en perspective. Le mariage se fit enfin avec une pompe digne de la vanité de celle qui en avait ordonné les apprêts. Les nouveaux époux montèrent leur maison selon leur rang. On prit un hôtel magnifique : laquais, chevaux, carrosse, et tout l’attirail que l’usage exige. Tant que durèrent les écus du beau-père, on ne se refusa rien de tout ce qui peut concourir aux besoins et aux charmes de la vie. Le marquis, que la détresse où il s’était trouvé avait éloigné de ses sociétés, reprit, avec plus d’ardeur que jamais, ses anciennes liaisons, et se livra sans réserve au jeu, sa passion favorite ; mais à peine six mois s’étaient écoulés dans le faste et la grandeur, qu’on se trouva hors d’état de fournir aux dépenses de pure nécessité. D’un autre côté, les anciens créanciers de mon beau-frère, qui, depuis longtemps avaient fait le sacrifice de sommes qu’ils croyaient perdues par l’insolvabilité reconnue de leur débiteur, réveillés tout à coup par le fracas de son luxe impudent, tombèrent sur lui sans aucun égard. Il se débarrassa des premiers, en obtenant, par ma mère, le cautionnement de notre maison ; et insensiblement mon père, par faiblesse pour sa femme qui l’aveuglait sur ses propres intérêts, par les espérances supposées du gendre, engagea tout