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AMÉLIE

n’eût pas reçu, dans sa jeunesse, une brillante éducation, il sentit la nécessité de nous en donner une, proportionnée à ses moyens : rien ne fut épargné pour nous procurer les talents qui développent les grâces du corps, et les connaissances qui ornent le cœur. Son amour paternel et sa bonté lui auraient fait faire tous les sacrifices imaginables, s’il eût été persuadé que nous dussions en acquérir quelques lumières de plus.

Il s’en fallait de beaucoup que ma mère pensât de même. Comme elle était née de parents pauvres ; qu’elle ne devait son élévation qu’à sa beauté seulement, sans posséder une seule de ces qualités qui plaisent à tout le monde et nous font chérir de ceux qui nous environnent, elle avait acquis dans ce nouvel état, au lieu des vertus domestiques qui caractérisent la bonne femme de ménage, deux défauts essentiels, peu faits, au premier coup d’œil, pour aller ensemble, mais qui paraissent avoir de grands rapports entre eux, si on les examine de plus près : je veux dire la bigoterie et l’avarice. Ainsi donc, elle trouvait toujours folles, ou pour le moins inutiles, les dépenses qu’on faisait pour notre instruction. Pourvu qu’elle amassât du bien, sans trop s’inquiéter des moyens ; qu’elle reçût chez elle des prêtres et des moines, et qu’elle nous fît hanter, plus que de raison, le confessionnal et l’église, tout le reste lui était fort indifférent.