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AMÉLIE

l’Amour qui l’avait préparé lui-même ? Ce Dieu volage se plaît-il donc si fort au changement, qu’après avoir reçu l’hommage de deux cœurs qu’il a réduits, il se fasse un jeu de les désunir, dans l’espérance de doubler l’encens qu’on lui offrait ? Mais il n’y réussit heureusement pas toujours, et s’il pouvait voir, au travers de son bandeau, les maux qu’il cause par son inconstance, quand il rencontre deux amants bien unis, il rougirait peut-être de sa cruauté.

Du nombre des personnes que l’état de Lindner attirait chez lui, un jeune lord qui s’était fait peindre, et lui avait procuré quelques pratiques, avait eu occasion de me voir souvent. Frappé de ce qu’il appelait alors ma beauté, il s’était mis en tête de me faire la cour ; et sans considérer qu’en cherchant à me séduire il troublerait infailliblement la paix de notre ménage, même en n’y réussissant pas, il profita d’un moment où il me trouva seule pour me déclarer sa passion.

Il n’est pas difficile de se faire une idée de la manière dont il fut reçu : j’ai donné assez de preuves de mon amour à l’heureux Lindner, pour qu’on ne doive pas craindre que je le trahisse. Je parle avec tout le sang-froid de la vertu à cet inconséquent ; je lui fais de sages remontrances sur la légèreté de sa conduite ; je le plains d’être embrasé d’un feu qui sera sans récompense, et je finis par lui défendre de reve-