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AMÉLIE

chez une bonne femme de la maison, qui nous traita bien et à bon marché.

Comme nous étions partis sans emporter d’effets, il fallut nous pourvoir de linge et d’habillements ; cette dépense diminua considérablement nos fonds, et quoique nous n’eussions acheté que le nécessaire, il ne nous restait plus que dix guinées et quelques bijoux. Johnson (qui avait pris alors le nom de Lindner) sentit bien que cette faible somme ne pouvait pas toujours durer, et qu’il fallait chercher les moyens de subsister quand elle serait épuisée. La crainte de voir dans la misère celle qu’il aimait plus que lui-même, le détermina à tirer parti des talents que son père lui avait donnés : il savait peindre, et, quoique jeune, il y avait peu de maîtres qui fussent en état de lui donner des leçons. Il monta donc un petit atelier ; mais les frais indispensables qu’il fut obligé de faire, réduisirent le numéraire à zéro ; il fallut même entamer les bijoux, notre dernière ressource. Enfin, il se fit connaître chez les Grands, par la perfection de ses ouvrages ; et bientôt il fut assez occupé, pour n’avoir plus recours aux expédients.

Il s’était passé plus d’un an depuis que nous vivions ensemble : heureux de notre tendresse, nous nous croyions encore au premier jour de notre félicité, et le temps resserrait insensiblement les liens chéris qui nous unissaient. Pourquoi notre bonheur devait-il être troublé par