Page:Amélie, ou Les Écarts de ma jeunesse, 1882.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
AMÉLIE

Mon amant au désespoir, l’âme absorbée, regardait la vie comme un fardeau insupportable, et faisait au ciel des vœux ardents pour succomber à son malheur ; le sommeil fuyait sa paupière appesantie : le cœur rempli de mon image, il allait, dès l’aurore, entretenir de son infortune les bois les plus sauvages ; la nuit l’y surprenait souvent, délicieusement occupé à faire retentir les échos du nom chéri qu’il se plaisait à répéter ; et, las d’appeler en vain celle qui ne pouvait l’entendre, il s’en retournait tristement, pour essayer de jouir d’un repos qui n’était plus fait pour lui.

Il y a cependant un terme à tout : les peines et les plaisirs ne sont pas éternels ; et si, par cette raison, ceux qui sont au faîte du bonheur peuvent avoir quelques craintes sur la perte de leur fortune et de leurs jouissances, pourquoi donc se livrer au désespoir quand on est malheureux ? Ne vaut-il pas mieux attendre patiemment cette révolution ordinaire, et dont nous fîmes l’épreuve.

Un jour que j’étais réveillée de grand matin, excédée des fatigues d’un songe pénible où m’avait jetée un instant de sommeil, pour faire diversion à mon chagrin, j’étais venue prendre le frais à la fenêtre de ma chambre à coucher, qui donnait sur le chemin, Johnson (c’était le nom de mon amant) s’offrit à mes regards. Qu’on se peigne, s’il est possible, la joie, les