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AMÉLIE

de sa maîtresse, et moi je perdais insensiblement toute ma gaieté : toujours mélancolique, la société m’était devenue insipide ; j’allais même jusqu’à sentir que ma mère, parce qu’elle contrariait ma passion, me devenait de jour en jour moins chère ; et quoique ce sentiment pesât sur mon cœur, il ne pouvait éteindre la violence de mon amour. Je n’étais occupée que des moyens d’adoucir les maux que me causait cette fatale séparation.

Déjà cinq semaines s’étaient écoulées, sans que nous eussions pu nous revoir, quoique mon amant n’eût pas manqué un seul jour de passer sous mes fenêtres ; mais je ne pouvais ni le voir, ni en être aperçue, parce que j’étais gardée à vue par ma mère qui craignait, avec raison, les entreprises d’un jeune homme passionné, capable de se porter aux dernières extrémités. Hélas ! les plus grandes précautions, dans ce cas, sont presque toujours inutiles : j’en ai fait la triste expérience, et si une mère attentive à garantir sa fille des pièges de l’Amour, y a réussi pendant longtemps, il ne faut qu’un instant pour rompre ses mesures : le fripon, habile à profiter de la moindre occasion qui lui est offerte, se rit de sa vigilance, et la met en défaut.

En proie à mes ennuis, tourmentée par la violence de ma passion, il ne m’était plus possible de me livrer au repos : les idées les plus tristes occupaient seules ma pensée, et cet état, pire que la mort, me la faisait désirer.