Au matin, il alla dans le grand parc, qui venait de faire toilette pour le mois de mai.
Une corbeille géante étincelait, flambante, neigeuse et trop fardée.
Des tulipes ! Sur leurs fortes tiges trop courtes, raides comme des bougies, elles se dressaient, assez serrées, bien en rangs, incroyablement rouges, incroyablement blanches dans le soleil du matin ; et tout en haut, cratère de ce volcan de couleurs, grésillait une braise de fleurs plus ardentes. Elles suaient la couleur comme un parfum fort, vanille ou jasmin. On en prenait la migraine par les yeux.
Il s’assit en face de la corbeille de tulipes, splendeur concentrée et ruisselante, qui n’appartenait à personne et s’offrait à tout venant.
Autour de la corbeille, il y avait des vieillards en longues redingotes noires, des jeunes dames en robes blanches, des enfants et des soldats, une élève du Conservatoire et des étudiants avec leurs cahiers de cours.
Ils s’accouplaient tous, pour ainsi dire, avec les tulipes, rassasiaient leur désir, jouissaient de ces fleurs vivantes, oubliaient leurs devoirs, perdaient conscience.
Une bonne française dit : « Des tulipes, mes enfants… » Et il n’y avait plus rien à dire.
L’élève du Conservatoire levait au ciel des yeux transfigurés. Cela faisait partie de sa profession.
Quant à lui, il restait assis là, vidé, impuissant, sénile ; il avait mal à la tête, et sentait confusément : « Étendre la main… un ! Prendre ton cou… deux ! Serrer fort… trois ! » Puis il pensait : « Est-ce que vous ne nous serrez pas la gorge, vous ? Alors ! Oui, oui, on peut aimer les tulipes ! Crève donc ! Aimer les tulipes, parbleu, on ne peut pas faire autrement. Elles sont là, rouges, blanches, flambantes… un point, c’est tout. Elles n’existent pas seulement par la grâce de mon cœur. Elles existent, rouges, blanches, flambantes pour tous les hommes. Cécilia, elle, n’existe que par la grâce de mon cœur. Non, pas de mots littéraires, merci bien ; c’est trop menu, ça ne fait pas de bien. Mais il y a des mots lourds comme des cailloux ou des cruches de bière qu’on lance, des mots qui soulagent quand on les pense et les prononce