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DEUXIÈME PÉRIODE

de grandes violences pour vous retenir. Songez ce que vous devez à votre mari, songez ce que vous devez à vous-même, et pensez que vous allez perdre cette réputation que vous vous êtes acquise, et que je vous ai tant souhaitée. Ayez de la force et du courage, ma fille ; retirez-vous de la cour ; obligez votre mari de vous emmener ; ne craignez point de prendre des partis trop rudes et trop difficiles ; quelque affreux qu’ils vous paraissent d’abord, ils seront plus doux dans les suites que les malheurs d’une galanterie. Si d’autres raisons que celles de la vertu et de votre devoir vous pouvaient obliger à ce que je souhaite, je vous dirais que, si quelque chose était capable de troubler le bonheur que j’espère en sortant de ce monde, ce serait de vous voir tomber comme les autres femmes ; mais si ce malheur vous doit arriver, je reçois la mort avec joie, pour n’en pas être le témoin. »

Mme de Clèves fondait en larmes sur la main de sa mère, qu’elle tenait serrée contre les siennes ; et Mme de Chartres se sentant touchée elle-même :

« Adieu, ma fille, lui dit-elle, finissons une conversation qui nous attendrit trop l’une et l’autre, et souvenez-vous, si vous pouvez, de tout ce que je viens de vous dire. »

Elle se tourna de l’autre côté en achevant ces paroles et commanda à sa fille d’appeler ses femmes, sans vouloir l’écouter ni parler davantage. Mme de Clèves sortit de la chambre de sa mère en l’état qu’on peut s’imaginer, et Mme de Chartres ne songea plus qu’à se préparer à la mort. Elle vécut encore deux jours, pendant lesquels elle