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ANTHOLOGIE FÉMININE


VISITE À ROSA BONHEUR[1]


La royauté de Fontainebleau se compose d’un palais et d’une forêt. La gloire du palais est éclipsée. Celle de la forêt durera autant que l’humanité.

Il tombe des arbres une douceur charmeuse. On y aperçoit des sous-bois pleins de clairs obscurs, où la lumière ambrée transperce l’épaisseur des feuillages, où des ombres de branchages enlacés semblent d’épais rideaux à demi soulevés sur des perspectives ensoleillées.

Les mousses, pleines de baumes et de menthes, dégagent une senteur pénétrante. En se hasardant sur le sable fin des petits sentiers qui courent clairs sous l’ombre des hêtres, on trouve des coins ignorés, embaumés, étranges, où le silence recueilli, le calme invraisemblable, donne une impression de lointain, si lointain…

Presque un rêve, ces visions de forêt aux retraites cachées, ignorées de la foule. Que de songes se réveillent là, comme des oiseaux ! Toujours l’enchanteresse couronnée d’émeraude révèle ses secrets à ses fervents, secrets de mélancolie, et d’oubli apaisant. S’asseoir là et sentir couler la vie, peut-être cela suffit-il. Ces arbres superbes, on les a crus longtemps courtisans : ils restaient si bien rangés en deux files sur le passage des rois et des empereurs. Ils ne sont que philosophes. À présent, il n’y a plus d’empereurs, plus de rois, et les arbres regardent passer les inconnus comme ils regardaient

  1. Fragment d’un article sur Fontainebleau. (Figaro, août 1892.)