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TROISIÈME PÉRIODE


LE POULAIN (aquarelle)


On a conduit le gros bétail à la pâture.
Dans la prairie en fleurs, qu’entoure une clôture,
Des vaches, des chevaux errent tranquillement ;
Quelques-uns sont couchés. Un beau poulain normand
Gambade et se repaît, libre de toute entrave.
Jamais il n’a connu la honte d’être esclave ;
Jamais il n’a senti lui peser sur le cou
L’humiliante bride ou l’insultant licou ;
En jouant, d’une haleine, il ferait une lieue.
Et sur ses fins jarrets flotte sa longue queue.
Sa crinière sauvage et brune orne son front.
Il galope au hasard, hennit, puis s’interrompt.
Au revers d’un fossé tout à coup il s’arrête.
Il accourt frémissant et redresse la tête.
Un cheval passe au loin, qui, moins heureux que lui,
Travaille, souffle, sue, et tire avec ennui
Un camion chargé de pièces de charpente.
Du chemin, défoncé par l’eau, la faible pente
Est pénible à gravir ; il ne peut avancer.
À chaque effort, la roue, en tournant, fait grincer
Le moyeu. L’animal tout en sueur ruisselle ;
Il butte à chaque pas et la pierre étincelle.
Le roulier, un bon homme, a pitié cette fois,
Et, sans lever le fouet, l’excite de la voix.
Montrant pour le quart d’heure une rare indulgence.
Le poulain observait, l’œil plein d’intelligence.
Comme si le malheur des siens l’intéressait.