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TROISIÈME PÉRIODE

cative ; c’était lorsqu’il faisait de l’orage : elle en avait peur, et tel était son effroi qu’alors elle s’approchait des personnes les moins considérables ; elle leur faisait mille questions obligeantes ; voyait-elle un éclair, elle leur serrait la main ; pour un coup de tonnerre, elle les eût embrassées ; mais le beau temps revenu, la princesse reprenait sa raideur, son silence, son air farouche, passait devant tout le monde sans faire attention à personne, jusqu’à ce qu’un nouvel orage vînt lui ramener sa peur et son affabilité.

Madame Victoire, bonne, douce, affable, vivait avec la plus aimable simplicité dans une société qui la chérissait : elle était adorée de sa maison. Sans quitter Versailles, sans faire le sacrifice de sa moelleuse bergère, elle remplissait avec exactitude les devoirs de la religion, donnait aux pauvres tout ce qu’elle possédait, observait rigoureusement les jeûnes et le carême. Il est vrai qu’on reprochait à la table de Mesdames d’avoir acquis pour le maigre une renommée que portaient au loin les parasites assidus à la table de leur maître d’hôtel. Madame Victoire n’était point insensible à la bonne chère, mais elle avait les scrupules les plus religieux sur les plats qu’elle pouvait manger en temps de pénitence. Je la vis un jour très tourmentée de ses doutes sur un oiseau d’eau qu’on lui servait souvent pendant le carême. Il s’agissait de décider irrévocablement si cet oiseau était maigre ou gras. Elle consulta un évêque qui se trouvait à son dîner : le prélat prit aussitôt le son de voix positif, l’attitude grave d’un juge en dernier ressort. Il répondit à la princesse