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TROISIÈME PÉRIODE

un costume qu’on auroit pu croire sorti d’un équipage, et dont l’apparence étoit fort bien soutenue par son maintien et son langage, alloit fort bien aussi dans la semaine en petit fourreau de toile au marché avec sa mère ; elle descendoit même seule pour acheter, à quelques pas de la maison, du persil ou de la salade que la ménagère avoit oubliés. Il faut convenir que cela ne me plaisoit pas beaucoup ; mais je n’en témoignois rien, et j’avois l’art de m’acquitter de ma commission de manière à y trouver de l’agrément. J’y mettois une si grande politesse, avec quelque dignité, que la fruitière ou autre personnage de cette espèce se faisoit un plaisir de me servir d’abord, et que les premiers arrivés le trouvoient bon ; je remboursois toujours quelque compliment sur mon passage, et je n’en étois que plus honnête. Cette enfant, qui lisoit des ouvrages sérieux, expliquoit fort bien les cercles de la sphère céleste, manioit le crayon et le burin, et se trouvoit à huit ans la meilleure danseuse d’une assemblée de jeunes personnes au-dessus de son âge, réunies pour une petite fête de famille ; cette enfant étoit souvent appelée à la cuisine pour y faire une omelette, éplucher des herbes ou écumer le pot. Ce mélange d’études graves, d’exercices agréables et de soins domestiques ordonnés, assaisonnés par la sagesse de ma mère, m’a rendue propre à tout ; il sembloit prédire les vicissitudes de ma fortune et m’a aidée à les supporter. Je ne suis déplacée nulle part ; je saurois faire ma soupe aussi lestement que Philopœmen coupoit du bois ; mais personne n’imagineroit, en me voyant, que ce fût un soin dont il convînt de me charger.