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ANTHOLOGIE FÉMININE


LETTRE
À La Haye, le 20 juin 1750.

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Tout périt, tout passe.

Cette patrie de Van Dyk et de Rubens, qui possède encore un fameux peintre camaïeu nommé Smitt, est à présent moins féconde en bons artistes. Le commerce y languit depuis que celui d’Amsterdam et de Rotterdam prospère. Nous gagnâmes cette dernière ville par le Mordick, où nous laissâmes notre voiture, pour nous mettre dans une barque dont le conducteur est la meilleure figure à peindre en Caron qu’on puisse trouver. Le vent était fort. Pour nous rassurer, il ne manqua pas de nous conter le malheur du prince d’Orange, noyé en 1711 sur cette petite mer, où nous étions cependant bien mieux que dans l’affreux chariot de poste qui nous roula jusqu’à la Meuse…

Rotterdam est riche, bien peuplé, bien bâti, coupé de larges canaux rafraîchis des eaux de la Meuse, qui porte les plus grands vaisseaux jusqu’au sein de la ville. Le mélange des mâts, des arbres qui bordent les canaux, des clochers, des belvédères, nous surprit agréablement…

En quittant Rotterdam, nous passâmes à Delftâ, où résonnait dans l’air un carillon de mille cloches à l’unisson. Nous y vîmes le monument magnifique élevé à la mémoire du prince d’Orange, assassiné à Delftâ. Le sculpteur a représenté à ses pieds un chien mort de douleur de sa perte. Que de leçons les attributs qui décorent ces monuments du néant des grandeurs humaines donnent à l’homme qui pense !