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PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES

1711 Tull ne l’avait pas vue au delà des Alpes. Targioni cependant, qui n’a pas pu se tromper sur ce point, dit que la culture de la Luzerne s’est maintenue en Italie, surtout en Toscane, depuis les anciens[1]. Dans la Grèce moderne, elle est rare[2].

Les cultivateurs français ont souvent appliqué à la Luzerne le nom de Sainfoin (jadis Sain foin), qui est celui de l’Onohrychis sativa, et cette transposition existe encore aux environs de Genève, par exemple. Le nom de Luzerne a été supposé venir de la vallée de Luzerne, en Piémont, mais il y a une autre origine plus probable. Les Espagnols avaient un ancien nom, Eruye, cité par J. Bauhin[3], et les Catalans disent Userdas[4], d’où vient peut-être le nom patois du midi de la France, Laouzerdo, très voisin de Luzerne. La culture en était si commune en Espagne que les Italiens ont quelquefois appelé la plante Herba spagna[5]. Les Espagnols, outre les noms indiqués, disent Mielga ou Melga, qui paraît venir de Medica, mais ils emploient surtout les noms tirés de l’arabe Alfafa, Alfasafat, Alfalfa, Dans le XIIIe siècle, le célèbre médecin Abn Baithar, qui écrivait à Malaga, emploie le mot arabe Fisfisat, qu’il rattache au nom persan Isfist[6]. On voit que si l’on se fiait aux noms vulgaires l’origine de la plante serait ou l’Espagne, ou le Piémont, ou plutôt la Perse. Heureusement les botanistes peuvent fournir des preuves directes et positives sur la patrie de l’espèce.

Elle a été recueillie spontanée, avec toutes les apparences d’une plante indigène, dans plusieurs provinces de l’Anatolie, au midi du Caucase, dans plusieurs localités de Perse, en Afghanistan, dans le Belouchistan[7], et en Cachemir[8]. D’autres localités dans le midi de la Russie, indiquées par les auteurs, sont peut-être le résultat des cultures, comme cela se voit dans l’Europe méridionale. Les Grecs peuvent donc avoir tiré la plante de l’Asie Mineure aussi bien que de la Médie, qui s’entendait surtout de la Perse septentrionale.

Cette origine, bien constatée, de la Luzerne, me fait apercevoir, comme une chose singulière, qu’on ne lui connaît aucun nom sanscrit[9]. Le Trèfle et le Sainfoin n’en avaient pas non plus, ce qui fait supposer que les Aryens n’avaient pas de prairies artificielles.

  1. Targioni, Cenni storici, p. 34.
  2. Fraas, Synopsis floræ classicæ, p. 63 ; Heldreich, Die Nutzpflanzen Griechenlands, p. 70.
  3. Bauhin, Hist. plant., II, p. 381.
  4. Colmeiro, Catal.
  5. Tozzetti, Dizion. bot.
  6. Ebn Baithar, Heil und Nahrungsmittel, trad. de l’arabe par Sontheimer, vol. 2, p. 257.
  7. Boissier, Fl. orient., II, p. 94.
  8. Royle, Ill. Himal., p. 197.
  9. Piddington, Index.