Page:Alphonse de Candolle - Origine des plantes cultivées, 1883.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
49
MANIOC

boltd[1] Moreau de Jonnes[2], Auguste de Saint-Hilaire[3] ont insisté sur l’origine américaine. On ne peut guère en douter, d’après les raisons suivantes :

1o Les Manihots étaient cultivés par les indigènes du Brésil, de la Guyane et des parties chaudes du Mexique avant l’arrivée des Européens, comme le témoignent tous les anciens voyageurs. Aux Antilles, cette culture était assez commune dans le XVIe siècle, d’après Acosta[4], pour qu’on puisse la croire également d’une certaine ancienneté.

2o Elle est moins répandue en Afrique, surtout dans les régions éloignées de la côte occidentale. On sait que le Manioc a été introduit dans l’île de Bourbon par le gouverneur de Labourdonnais[5]. Dans les contrées asiatiques, où probablement une culture aussi facile se serait propagée si elle avait été ancienne sur le continent africain, on la mentionne çà et là, comme un objet de curiosité d’origine étrangère[6].

3o Les indigènes d’Amérique avaient plusieurs noms anciens pour les variétés de Maniocs, surtout au Brésil[7], ce qui ne paraît pas avoir existé en Afrique, même sur la côte de Guinée[8].

4o Les variétés cultivées au Brésil, à la Guyane et aux Antilles sont très nombreuses, par où l’on peut présumer une culture très ancienne. Il n’en est pas de même en Afrique.

5o Les 42 espèces connues du genre Manihot, en dehors de M. utilissima, sont toutes spontanées en Amérique ; la plupart au Brésil, quelques-unes à la Guyanne, au Pérou et au Mexique ; pas une dans l’ancien monde[9]. Il est très invraisemblable qu’une seule espèce, et encore celle qu’on cultive, fut originaire à la fois de l’ancien et du nouveau monde, d’autant plus que dans la famille des Euphorbiacées les habitations des espèces ligneuses sont généralement restreintes et qu’une communauté entre l’Afrique et l’Amérique est toujours rare dans les plantes Phanérogames.

L’origine américaine du Manihot étant ainsi démontrée, on peut se demander comment l’espèce a été introduite en Guinée et au Congo. Probablement c’est un résultat des communications fréquentes, au XVIe siècle, des trafiquants portugais et des négriers.

  1. De Humholtd Nouvelle-Espagne, éd. 2, vol., 2, p. 398.
  2. Histoire de l’Acad. des sciences, 1824.
  3. Guillemin, Archives de botanique, 4, p. 239.
  4. Acosta, Hist. nat. des Indes, trad. franç. 1598, p. 163.
  5. Thomas, Statistique de Bourbon, 2, p. 18.
  6. Le catalogue du jardin botanique de Buitenzorg, 1866, p. 222, dit expressément que le Manihot utilissima vient de Bourbon et d’Amérique.
  7. Aypi, Mandioca, Manihot, Manioch, Yuca, etc., dans Pohl, Icones et descr., 1, p. 30, 33. Martius, Beiträge z. Ethnographie, etc., Brasilien’s, 2, p. 122, indique une quantité de noms.
  8. Thonning (dans Schumacher, Plant. guin.), qui cite volontiers les noms vulgaires, n’en donne aucun pour le Manihot.
  9. J. Müller, dans Prodromus, 15, sect. 1, p. 1057.