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PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES

des tubercules de Pommes de terre comme provision, et W. Raleigh, faisant une guerre de flibustier aux Espagnols, lui ou un autre peut avoir pillé quelque vaisseau qui en contenait. Ceci est d’autant moins invraisemblable que les Espagnols avaient introduit la plante en Europe avant 1585.

Sir Joseph Banks[1] et Dunal[2] ont eu raison d’insister sur ce fait de l’introduction première par les Espagnols, attendu que pendant longtemps on a parlé surtout de Walter Raleigh, qui a été le second introducteur, et même d’autres Anglais, qui avaient apporté, non la Pomme de terre, mais la Batate, plus ou moins confondue avec elle[3]. Un botaniste célèbre, de L’Écluse[4], avait pourtant précisé les faits d’une manière remarquable. C’est lui qui a publié la première bonne description et bonne figure de la Pomme de terre, sous le nom significatif de Papas Peruanorum. D’après ce qu’il dit, l’espèce a bien peu changé par l’effet d’une culture de près de trois siècles, car elle donnait à l’origine jusqu’à 50 tubercules de grosseur inégale, ayant de un à deux pouces de longueur, irrégulièrement ovoïdes, rougeâtres, qui mûrissaient en novembre (à Vienne). La fleur était plus ou moins rose à l’extérieur et rosée à l’intérieur, avec cinq raies longitudinales de couleur verte, ce qu’on voit souvent aujourd’hui. On a obtenu sans doute de nombreuses variétés, mais l’état ancien n’est pas perdu. De L’Écluse compare le parfum des fleurs à celui du tilleul, seule différence d’avec nos plantes actuelles. Il sema des graines qui donnèrent une variété à fleurs blanches, comme nous en voyons quelquefois.

Les plantes décrites par de L’Écluse lui avaient été envoyées en 1588 par Philippe de Sivry, seigneur de Waldheim, gouverneur de Mons, qui les tenait de quelqu’un de la suite du légat du pape en Belgique. De L’Écluse ajoute que l’espèce avait été reçue en Italie d’Espagne ou d’Amérique (certum est vel ex Hispaniis, vel ex America habuisse), et il s’étonne qu’étant devenue commune en Italie, au point qu’on la mangeait comme des raves et qu’on en donnait aux porcs, les savants de l’école de Padoue en avaient eu connaissance par les tubercules qu’il leur envoya d’Allemagne. Targioni[5] n’a pas pu constater que la Pomme de terre eût été cultivée aussi fréquemment en Italie à la fin du XVIe siècle que le dit de L’Écluse, mais il cite le Père Magazzini, de Valombrosa, dont l’ouvrage posthume, publié

  1. Banks, l. c.
  2. Dunal, Histoire naturelle des Solanum, in-4.
  3. La plante apportée par sir Francis Drake et sir John Hawkins était clairement la Batate, dit sir J. Banks ; d’où il résulte que les questions discutées par de Humboldt sur les localités visitées par ces voyageurs ne s’appliquent pas à la Pomme de terre.
  4. De L’Ecluse, l. c.
  5. Targioni-Tozzetti, Lezzioni, II, p. 10 ; Cenni storici sulla introduzione di varie piante nell’agricoltura di Toscana, 1 vol. in-8, Florence, 1853, p. 37.