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POMME DE TERRE

connaissaient une plante analogue, c’était le Solanum Commersonii, qui a aussi des tubercules et se trouve sauvage à Montevideo et dans le Brésil méridional. La vraie Pomme de terre est bien cultivée aujourd’hui dans ce dernier pays, mais elle y est si peu ancienne qu’on lui a donné le nom de Batate des Anglais[1] D’après de Humboldt, elle était inconnue au Mexique[2], circonstance confirmée par le silence des auteurs subséquents, mais contredite, jusqu’à un certain point, par une autre donnée historique.

On dit, en effet, que Walter Raleigh, ou plutôt son compagnon dans plusieurs voyages, Thomas Herriott, avait rapporté, en 1585 ou 1586, des tubercules de Pomme de terre de la Virginie[3] en Irlande. Le nom du pays était Openawk (prononcez Openauk), D’après la description de la plante par Herriott, citée par sir Joseph Banks[4], il n’y a pas de doute que c’était la pomme de terre et non la Batate, qu’on confondait quelquefois avec elle à cette époque. D’ailleurs Gérard[5] nous dit avoir reçu de Virginie la Pomme de terre, qu’il cultivait dans son jardin en 1597 et dont il donne une figure parfaitement conforme au Solanum tuberosum. Il en était si fier que son portrait, à la tête de l’ouvrage, le représente ayant en main un rameau fleuri de cette plante.

Comment l’espèce était-elle en Virginie ou dans la Caroline au temps de Raleigh, en 1585, tandis que les anciens Mexicains ne la possédaient pas et que la culture ne s’en était point répandue chez les indigènes au nord du Mexique ? Le Dr Boulin, qui a beaucoup étudié les ouvrages concernant l’Amérique septentrionale, m’affirmait jadis qu’il n’avait trouvé aucune indication de la Pomme de terre aux États-Unis avant l’arrivée des Européens. Le Dr Asa Gray me le disait aussi, en ajoutant que M. Harris, un des hommes les plus versés dans la connaissance de la langue et des usages des tribus du nord de l’Amérique, avait la même opinion. Je n’ai rien lu de contraire dans les publications récentes, et il ne faut pas oublier qu’une plante aussi facile à cultiver se serait répandue, même chez des peuples nomades, s’ils l’avaient possédée. La probabilité me paraît être que des habitants de la Virginie — peut-être des colons anglais — auraient reçu des tubercules par les voyageurs espagnols ou autres, qui trafiquaient ou cherchaient des aventures pendant les quatre-vingt-dix ans écoulés depuis la découverte de l’Amérique. Évidemment, à dater de la conquête du Pérou et du Chili, en 1535, jusqu’en 1585, beaucoup de vaisseaux ont pu emporter

  1. De Martius, Flora brasil., vol. 10, p. 12.
  2. De Humboldt, Nouvelle-Espagne, éd. 2, vol. 2, p. 451 ; Essai sur la géographie des plantes, p. 29.
  3. À cette époque, on ne distinguait pas la Virginie de la Caroline.
  4. Banks. Transactions of the horticult. Society, 1805, vol. 1, p. 8.
  5. Gérard, Herbal, 1597, p. 781, avec figure.