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MÉTHODES POUR DÉCOUVRIR L’ORIGINE DES ESPÈCES

d’une espèce, mais il n’est pas sans exemple qu’ils soient absurdes, basés sur des erreurs, ou vagues et contestables, ce qui oblige à user d’une certaine prudence dans leur emploi.

Je pourrais citer beaucoup de noms absurdes, pris dans toutes les langues. Il suffit de rappeler :

En français : blé de Turquie (maïs), pour une plante qui n’est pas un blé et qui vient d’Amérique.

En anglais : Jerusalem artichoke, pour le Topinambour (Helianthus tuberosus), qui ne vient pas de Jérusalem, mais de l’Amérique septentrionale, et n’est pas un artichaut.

En allemand : Haferwurzel, racine d’avoine, pour le Salsifis (Tragopogon), plante à racine charnue !

Une quantité de noms donnés par les Européens à des plantes étrangères, lorsqu’ils se sont établis dans les colonies, expriment des analogies fausses ou insignifiantes. Par exemple, le lin de la Nouvelle-Zélande ressemble aussi peu que possible au lin ; seulement on tire de ses feuilles une matière textile. La pomme d’acajou, des Antilles françaises, n’est pas le fruit d’un pommier, ni même d’une pomacée, et n’a rien à voir avec l’acajou.

Quelquefois les noms vulgaires se sont altérés en passant d’une langue à l’autre, de manière à donner un sens faux ou ridicule. Ainsi l’arbre de Judée des Français (Cercis Siliquastrum) est devenu en anglais Judas tree, arbre de Judas ! Le fruit appelé Ahuaca par les Mexicains est devenu l’Avocat des colons français. Assez souvent, des noms de plantes ont été pris par le même peuple, à des époques successives ou dans des provinces différentes, tantôt comme noms de genres et tantôt comme noms d’espèces. Par exemple, blé peut signifier ou plusieurs espèces du genre Triticum, et même de plantes nutritives très différentes (maïs et blés), ou telle espèce de blé en particulier.

Plusieurs noms vulgaires ont été transportés d’une plante à l’autre, par suite d’erreurs ou d’ignorance. Ainsi, la confusion faite par d’anciens voyageurs entre la Batate (Convolvolus Batatas) et la Pomme de terre (Solanum tuberosum), a entraîné l’usage d’appeler la Pomme de terre en anglais Potatoe et en espagnol Patatas.

Si des peuples modernes, civilisés, qui ont de grandes facilités pour comparer les espèces, connaître leur origine et vérifier les noms dans les livres, ont fait de semblables erreurs, il est probable que les anciens en ont fait plus encore et de plus grossières. Les érudits déploient infiniment de science pour expliquer l’origine linguistique d’un nom ou ses modifications dans les langues dérivées, mais ils ne peuvent pas découvrir les fautes ou les absurdités populaires. Ce sont plutôt les botanistes qui les devinent ou les démontrent. Remarquons en passant que les noms doubles ou composés sont les plus suspects. Ils peuvent avoir deux erreurs : l’une dans la racine ou le nom principal, l’autre dans l’addition ou nom accessoire, destiné presque tou-