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CAROUBIER

treintes où il existe en Sicile, dans les petites îles adjacentes et sur la côte d’Italie. Il s’appuie, en outre, sur le nom italien Carrubo, presque semblable au nom arabe, pour émettre l’idée d’une introduction ancienne dans le midi de l’Europe, l’espèce étant originaire plutôt de Syrie ou de l’Afrique septentrionale. À cette occasion, il soutient, comme probable, l’opinion de Hœfer et de Bonné[1] d’après laquelle le Lotos des Lotophages était le Caroubier, dont la fleur est sucrée et le fruit d’un goût de miel, conformément aux expressions d’Homère. Les Lotophages habitant la Cyrénaïque, le Caroubier devait croître en masse dans leur pays. Pour admettre cette hypothèse, il faut croire qu’Hérodote et Pline n’ont pas connu la plante d’Homère, car le premier a décrit le Lotos comme ayant une baie de Lentisque et le second comme un arbre qui perd ses feuilles en hiver[2].

Une hypothèse sur une plante douteuse dont a parlé jadis un poète ne peut guère servir de point d’appui dans un raisonnement sur des faits d’histoire naturelle. Après tout, le Lotos d’Homère était peut-être… dans le jardin fantastique des Hespérides. Je reviens à des arguments d’un genre plus sérieux, dont M. Bianca a touché quelques mots.

Le Caroubier est désigné dans les langues plus ou moins anciennes par deux noms : l’un grec, Keraunia ou Kerateia[3] ; l’autre arabe, Chimub ou Charûb, Le premier exprime la forme du légume, analogue à certaines cornes médiocrement recourbées. Le second signifie un fruit allongé (légume), car on voit dans l’ouvrage de Ebn Baithar[4] que quatre autres Légumineuses sont désignées par ce même nom, avec une épithète. Les Latins n’avaient pas de nom spécial pour le Caroubier. Ils se servaient du mot grec, ou de l’expression Siliqua, Siliqua græca, c’est-à-dire fruit allongé de Grèce[5]. Cette pénurie de noms est l’indice d’une habitation jadis restreinte et d’une culture qui ne remonte probablement pas à des temps préhistoriques. Le nom grec s’est conservé en Grèce. Le nom arabe existe aujourd’hui chez les Kabyles, qui disent Kharroub pour le fruit, Takharrout pour l’arbre[6], comme les Espagnols disent Algarrobo. Chose singulière, les Italiens ont pris aussi le nom arabe, Currabo, Carubio, d’où vient notre nom français Caroubier, Il semble qu’une introduction se serait faite, par les Arabes, dans le moyen âge,

  1. Hœfer, Histoire de la botanique, de la minéralogie et de la géologie, 1 vol. in-12, p. 20 ; Bonné, Le Caroubier ou l’arbre des Lotophages, Alger, 1869 (cité d’après Hœfer). Voir, ci-dessus, l’article du Jujubier.
  2. Pline, Hist., l. 16, c. 30.
  3. Théophraste, Hist. plant., l. 1, c. 11 ; Dioscorides, l. 1, c. 155 ; Fraas, Syn. fl. class., p. 65
  4. Ebn Baithar, trad. allem., 1, p. 354 ; Forskal, Flora ægypt., p. 77.
  5. Columna, cité dans Lenz, Bot. der Alten Griech. und Rœm., p. 733 ; Pline, Hist., l. 13, c. 8.
  6. Dict. français-berbère, au mot Caroube.