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FÈVE

Le mot Faba se retrouve dans plusieurs des langues aryennes de l’Europe, avec des modifications que les philologues seuls peuvent reconnaître. N’oublions cependant pas l’observation très juste d’Adolphe Pictet[1] que, pour les graines de céréales et de Légumineuses, on a souvent transporté des noms d’une espèce à l’autre, ou que certains noms étaient tantôt génériques et tantôt spécifiques. Plusieurs graines, de forme analogue, ont été appelées Kuamos par les Grecs ; plusieurs haricots différents (Phaselus, Dolichos) portent le même nom en sanscrit, et Faba, en ancien slave Bobu, en ancien prussien Babo, en armoricain Fav, etc., peut fort bien avoir été employé pour des pois, haricots, ou autres graines de ce genre. Ne voyons-nous pas de nos jours appeler, en style commercial, le café une fève ? C’est donc avec raison que Pline ayant parlé d’îles fabariæ, où se trouvaient des Fèves en abondance, et ces îles étant situées dans l’océan septentrional, on a pensé qu’il s’agissait d’un certain pois sauvage appelé en botanique Pisum maritimum.

Les anciens habitants de la Suisse et de l’Italie, à l’époque du bronze, cultivaient une variété à petites graines du Faba vulgaris. M. Heer[2] la désigne sous le nom de Celtica nana, parce que la graine a de 6 à 9 millimètres de longueur, tandis que celle de notre Fève actuelle des champs (Fèverolle) en a 10 à 12. Il a comparé les échantillons de Montelier sur le lac de Morat et de l’île de Saint-Pierre du lac de Bienne, avec d’autres de Parme de la même époque. M. de Mortillet a trouvé dans les lacustres contemporains du lac du Bourget la même petite fève, qu’il dit fort semblable à une variété cultivée aujourd’hui en Espagne[3].

La Fève était cultivée chez les anciens Égyptiens[4]. Il est vrai que, jusqu’à présent, on n’en a pas trouvé des graines ou vu des figures dans les cercueils ou monuments. La cause en est, dit-on, qu’elle était réputée impure[5]. Hérodote[6] s’exprime ainsi : « Les Égyptiens ne sèment jamais de Fèves dans leurs terres, et, s’il en vient, ils ne les mangent ni crues ni cuites. Les prêtres n’en peuvent pas même supporter la vue ; ils s’imaginent que ce légume est impur. » La Fève existait donc en Égypte, et probablement dans les endroits cultivés, car les terrains qui pouvaient lui convenir étaient généralement en culture. Peut-être la population pauvre et celle de certains districts n’avaient pas les mêmes préjugés que les prêtres. On sait que les superstitions différaient suivant les nomes, Plutarque et Diodore de Sicile ont

  1. Ad. Pictet, Les origines indo-européennes, éd. 2, vol. 1, p. 353.
  2. Heer, Pflanzen, der Pfahlbauten, p. 22, iig. 44-47.
  3. Perrin, Étude préhistorique sur la Savoie, p. 2.
  4. Delile, Plant. cult. en Égypte, p. 12 ; Reynier, Économie des Égyptiens et Carthaginois, p. 340 ; Unger, Pflanzen d. alten Ægyptens, p. 64 ; Wilkinson, Manners and customs of ancient Egyptians, 2, p. 402.
  5. Reynier, l. c., cherche à en deviner les motifs.
  6. Hérodote, Histoire, traduction de Larcher, vol. 2, p. 32.