Page:Alphonse de Candolle - Origine des plantes cultivées, 1883.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
FIGUIER

de l’autre[1]. La remarque faite par plusieurs érudits qu’il n’est pas question dans l’Iliade de la figue cultivée, Sukai, ne prouve donc pas l’absence du Figuier en Grèce à l’époque de la guerre de Troie. C’est dans l’Odyssée que la figue douce est mentionnée par Homère, et encore d’une manière assez vague. Hésiode, dit M. Hehn, n’en parle pas, et Archilochus (700 ans avant J.-C.) est le premier qui en ait mentionné clairement la culture chez les Grecs, à Paros. D’après cela, l’espèce existait à l’état sauvage en Grèce, au moins dans l’Archipel, avant l’introduction de variétés cultivées originaires d’Asie. Théophraste et Dioscoride mentionnent des Figuiers sauvages et cultivés[2].

Remus et Romulus, selon la tradition, auraient été nourris sous un pied de Ficus qu’on appelait ruminalis, de rumen, mamelle[3]. Le nom latin Ficus, que M. Hehn, par un effort d’érudition, fait venir du grec Sukai[4], fait aussi présumer une existence ancienne en Italie, et l’opinion de Pline est positive à cet égard. Les bonnes variétés cultivées ont été introduites plus tard chez les Romains. Elles venaient de Grèce, de l’Asie Mineure et de Syrie. Du temps de Tibère, comme aujourd’hui, les meilleures figues venaient de l’Orient.

Nous avons appris au collège comment Caton avait exhibé en plein sénat des figues de Carthage encore fraîches, comme preuve de la proximité du pays qu’il détestait. Les Phéniciens avaient dû transporter de bonnes variétés sur la côte d’Afrique et dans les autres colonies de la mer Méditerranée, même jusqu’aux îles Canaries, mais le Figuier sauvage peut avoir existé antérieurement dans ces pays.

Pour les Canaries, nous en avons une preuve par des noms guanches, Arahormaze et Achormaze, figues vertes, Taharemenen et Tehahunemen, figues sèches. Les savants Webb et Berthelot[5], qui ont cité ces noms et qui avaient admis l’unité d’origine des Guanches et des Berbères, auraient vu avec plaisir chez les Touaregs, peuples berbères, le mot Tahart pour Figuier[6], et dans le dictionnaire français-berbère, publié depuis eux, les noms Tabeksist pour figue fraîche et Tagrourt pour Figuier. Ces vieux noms, d’origine plus ancienne et plus locale que l’arabe, parlent en faveur d’une habitation très ancienne dans le nord dé l’Afrique jusqu’aux Canaries.

Le résultat de notre enquête est donc de donner pour habi-

  1. Gussone, Enum. plant. Inarimensium, p. 301.
  2. Pour l’ensemble de l’histoire du Figuier et de l’opération, d’une utilité douteuse, qui consiste à répandre des Caprificus à insectes parmi les pieds cultivés (caprification), voir la dissertation de M. le comte de Solms.
  3. Pline, Hist., l. 15, c. 18.
  4. Hehn, l. c., p. 512.
  5. Webb et Berthelot, l. c., Ethnographie, p. 186, 187 ; Phytographie, 3, p. 257.
  6. D’après Duveyrier, Les Touaregs du nord, p. 193.