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PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

ou « naturalisée ». Desfontaines, dans sa Flore atlantique, l’indiquait comme spontanée en Algérie, mais les auteurs subséquents la disent plutôt naturalisée[1]. Je doute de la qualité spontanée dans le Béloutchistan, où le voyageur Stocks l’a récoltée[2], car les botanistes anglo-indiens n’admettent pas comme certain l’indigénat à l’est de l’Indus, et je remarque l’absence de l’espèce dans les collections du Liban et de la Syrie que M. Boissier cite toujours avec soin.

En Chine, le Grenadier n’est qu’à l’état cultivé. Il y a été introduit, de Samarkande, par Chang-Kien, un siècle et demi avant l’ère chrétienne[3].

La naturalisation dans la région de la mer Méditerranée est si commune qu’on peut l’appeler une extension de l’ancienne habitation. Probablement elle date d’un terme reculé, car la culture de l’espèce remonte à une époque très ancienne dans l’Asie occidentale.

Voyons si les documents historiques et linguistiques peuvent apprendre quelque chose à cet égard.

Je note d’abord l’existence d’un nom sanscrit, Darimba, d’où viennent plusieurs noms de l’Inde moderne[4]. On peut en conclure que l’espèce était connue depuis longtemps dans les pays qui ont été traversés par les Aryas, lors de leur marche vers l’Inde.

Le Grenadier est mentionné plusieurs fois dans l’Ancien Testament sous le nom de Rimmon[5], qui est l’origine du nom arabe Rummân ou Rumân, C’était un des arbres fruitiers de la Terre promise, et les Hébreux l’avaient apprécié dans les jardins d’Égypte. Beaucoup de localités de la Palestine avaient reçu leur nom de cet arbuste, mais les textes n’en parlent que comme d’une espèce cultivée. Les Phéniciens faisaient figurer la fleur et le fruit du Grenadier dans leurs cérémonies religieuses, et la déesse Aphrodite l’avait planté elle-même dans l’île de Chypre[6], ce qui fait supposer qu’il ne s’y trouvait pas alors. Les Grecs avaient connaissance de l’espèce déjà à l’époque d’Homère. Il en est question deux fois dans l’Odyssée, comme d’un arbre des jardins des rois de Phæacie et Phrygie. Ils l’appelaient Roia ou Roa, que les érudits disent venir du nom syriaque et hébreu[7], et aussi Sidai[8], qui paraît venir des Pelasges, car le nom albanais actuel est Sège[9]. Rien ne peut faire supposer que l’espèce fut

  1. Munby, Fl. d’Alger, p. 49 ; Ball, Spicilegium floræ maroccanæ, p. 58.
  2. Boissier, l. c.
  3. Bretschneider, On study, etc., p. 16.
  4. Piddington, Index.
  5. Rosenmüller, Biblische Naturgeschichte, 1, p. 273 ; Hamilton, La botanique de la Bible, Nice, 1871, p. 48.
  6. Hehn, Cultur und Hausthiere aus Asien, éd. 3, p. 106.
  7. Hehn, ibid.
  8. Lenz, Botanik d. alten Griechen und Rœmer, p. 681.
  9. De Heldreich, Die Nutzpflanzen Griechenlands, p. 64.