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CERISIER COMMUN OU GRIOTTIER

Cerasus, et encore la couche de laquelle on l’a sorti n’a pas été suffisamment constatée. Il parait que c’était une couche non archéologique[1].

D’après l’ensemble de ces données, un peu contradictoires et assez vagues, je suis disposé à admettre que le Prunus Cerasus était connu et se naturalisait déjà au commencement de la civilisation grecque, et un peu plus tard en Italie, avant l’époque à laquelle Lucullus apporta un Cerisier de l’Asie Mineure.

On pourrait écrire des pages en citant les auteurs, même modernes, qui attribuent, à la suite de Pline, l’introduction du Cerisier en Italie à ce riche Romain, l’an 64 avant l’ère chrétienne. Puisque l’erreur se perpétue, grâce à sa répétition incessante dans les collèges classiques, il faut dire encore une fois qu’il y avait des Cerisiers — au moins celui des oiseaux — en Italie avant Lucullus, et que l’illustre gourmet n’a pas dû rechercher l’espèce à fruits acides ou amers. Je ne doute pas qu’il n’ait gratifié les Romains d’une bonne variété cultivée dans le Pont et que les cultivateurs ne se soient empressés de la propager par la greffe, mais c’est à cela que s’est borné le rôle de Lucullus.

D’après ce qu’on connaît maintenant de Cérasonte et des anciens noms des Cerisiers, j’oserai soutenir, contrairement à l’opinion commune, qu’il s’agissait d’une variété du Cerisier des oiseaux, comme, par exemple, le Bigarreautier ou le Merisier, dont le fruit charnu est de saveur douce. Je m’appuie sur ce que Kerasos, dans Théophraste, est le nom du Prunus avium, lequel est de beaucoup le plus commun des deux dans l’Asie Mineure. La ville de Cerasonte en avait tiré son nom, et il est probable que l’abondance du Prunus avium dans les forêts voisines avait engagé les habitants à chercher les arbres qui donnaient les meilleurs fruits, pour les planter dans leurs jardins. Assurément, si Lucullus a apporté de beaux bigarreaux, ses compatriotes, qui connaissaient à peine de petites cerises sauvages, ont pu s’exclamer et dire : « C’est un fruit que nous n’avions pas. » Pline n’a rien affirmé de plus.

Je ne terminerai pas sans énoncer une hypothèse sur les deux Cerisiers. Ils diffèrent peu de caractères, et, chose bien rare, les deux patries anciennes le mieux constatées sont semblables (de la mer Caspienne à l’Anatolie occidentale). Les deux espèces se sont répandues vers l’ouest, mais inégalement. Celle qui est la plus commune dans le pays d’origine et la plus robuste (Pr. avium) a été plus loin, à une époque plus ancienne, et s’est mieux naturalisée. Le Prunus Cerasus est donc peut-être une dérivation de l’autre, survenue dans un temps préhistorique. J’arrive ainsi, par une voie différente, à une idée émise par M. Caruel[2] ; seu-

  1. Sordelli, Plante della torbiera di Lagozza, p. 40.
  2. Caruel, Flora toscana, p. 48.