Page:Alphonse de Candolle - Origine des plantes cultivées, 1883.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
166
PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

on trouve, à l’état bien spontané, une variété particulière ou espèce voisine, le Prunus Marasca, dont le fruit sert à fabriquer le marasquin. Le Pr. Cerasus est sauvage dans les districts montueux de l’Italie[1] et dans le centre de la France[2] ; mais plus loin, dans l’ouest, le nord et en Espagne, on ne cite plus l’espèce que comme cultivée, se naturalisant çà et là sous la forme souvent de buisson. Évidemment l’apparence en Europe est — plus que pour le Cerisier des oiseaux — celle d’un arbre d’origine étrangère médiocrement établi.

En lisant les passages de Théophraste, Pline et autres anciens auteurs souvent cités[3], aucun ne parait s’appliquer au Prunus Cerasus, Le plus significatif, celui de Théophraste, convient au Prunus avium, à cause de la grandeur de l’arbre, caractère distinctif d’avec le Prunus Cerasus[4]. Kerasos étant le nom du Cerisier des oiseaux dans Théophraste, comme aujourd’hui Kerasaia chez les Grecs modernes, je remarque un signe linguistique d’ancienneté du Prunus Cerasus : les Albanais, descendants des Pélasges, désignent celui-ci sous le nom de Vyssine, ancien nom qui se retrouve dans l’allemand Wechsel et l’italien Visciolo[5]. Comme les Albanais ont aussi le nom Kerasie, pour le Pr. avium, on peut croire que leurs ancêtres ont distingué et nommé les deux espèces depuis longtemps, peut-être avant l’arrivée des Hellènes en Grèce.

Autre signe d’ancienneté : Virgile dit en parlant d’un arbre :

Pullulat ab radice aliis densissima sylva
Ut cerasis ulmisque
. (Georg., II, 17.)

Ce qui s’applique au Pr. Cerasus, non au Pr. avium.

On a trouvé à Pompeia deux peintures de Cerisier, mais il ne paraît pas qu’on puisse savoir exactement si elles s’appliquent à l’une ou à l’autre des deux espèces[6]. M. Comes les indique sous le titre du Prunus Cerasus.

Quelque découverte archéologique serait plus probante. Les noyaux des deux espèces présentent une différence dans le sillon qui n’a pas échappé à la sagacité de MM. Heer et Sordelli. Malheureusement, on n’a trouvé dans les stations préhistoriques d’Italie et de Suisse qu’un seul noyau, attribuable au Prunus

  1. Bertoloni, Fl. it., 5, p. 131.
  2. Lecoq et Lamotte, Catal. du plateau central de la France, p. 148.
  3. Theophrastes, Hist. plant., l. 3, c. 13 ; Pline, l. 15, c. 25, et autres cités dans Lenz, Botanik der Alten, p. 710.
  4. Une partie des expressions qui suivent dans Théophraste résulte d’une confusion avec d’autres arbres. Il dit en particulier que le noyau est mol.
  5. Ad. Pictet, l. c., cite des formes du même nom en persan, turc, russe, et fait dériver de là notre nom français de Guigne, transporté à des variétés.
  6. Schouw, Die Erde, p. 44 ; Comes, Ill. delle piante, etc. in-4, p. 56.