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PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS

Il était inconnu aux Grecs et aux Romains, de même que l’oranger doux. Comme ils avaient eu des relations avec l’Inde et Ceylan, Gallesio présume que ces arbres n’étaient pas cultivés de leur temps dans la partie occidentale de l’Inde. Il a étudié, sous ce point de vue, les anciens voyageurs et géographes, tels que Diodore de Sicile, Néarque, Arianus, et n’a trouvé chez eux aucune mention des orangers. Cependant le sanscrit avait un nom pour l’orange, Nagarunga, Nagrunga[1], C’est même de là qu’est venu le mot Orange, car les Hindous en ont fait Narungee (prononcez Naroudji) d’après Royle, Nerunga d’après Piddington, les Arabes Narunj, d’après Gallesio, les Italiens Naranzi, Arangi, et dans le moyen âge on a dit en latin Arancium, Arangium, puis Aurantium[2]. Mais le nom sanscrit s’appliquait-il à l’orange amère ou à l’orange douce ? Le philologue Adolphe Pictet m’a donné jadis un renseignement curieux sur ce point. Il avait cherché dans les ouvrages sanscrits les noms significatifs donnés à l’orange ou à l’oranger et en avait trouvé 17, qui tous font allusion à la couleur, l’odeur, la qualité acide (danta catha, nuisible aux dents), le lieu de croissance, etc., jamais à une saveur douce ou agréable. Cette multitude de noms analogues à des épithètes montre un fruit anciennement connu, mais d’une saveur bien différente de l’orange douce. D’ailleurs les Arabes, qui ont transporté les orangers vers l’Occident, ont connu d’abord l’orange amère, lui ont appliqué le nom Narunj[3], et leurs médecins, dès le Xe siècle, ont prescrit le suc amer du Bigaradier[4]. Les recherches approfondies de Gallesio montrent que l’espèce s’était répandue depuis les Romains du côté du golfe Persique, et à la fin du IXe siècle en Arabie, par l’Oman, Bassora, Irak et la Syrie, selon le témoignage de l’auteur arabe Massoudi. Les croisés virent le Bigaradier en Palestine. On le cultivait en Sicile dès l’année 1002, probablement à la suite des incursions des Arabes. Ce sont eux qui l’ont introduit en Espagne, et vraisemblablement aussi dans l’Afrique orientale. Les Portugais le trouvèrent établi sur cette côte lorsqu’ils doublèrent le Cap, en 1498[5].

Rien ne peut faire présumer que l’orange amère ou douce existât en Afrique avant le moyen âge, car la fable du jardin, des Hespérides peut concerner une Aurantiacée quelconque, et chacun peut la placer où il veut, l’imagination des anciens étant d’une fertilité singulière.

  1. Roxburgh, Fl. ind., éd. 1832, v. 2, p. 392 ; Piddington, Index.
  2. Gallesio, p. 122.
  3. Dans les langues modernes de l’Inde, le nom sanscrit a été appliqué à l’orange douce, selon le témoignage de Brandis, par une de ces transpositions qui sont fréquentes dans le langage populaire.
  4. Gallesio, p. 122, 247, 248.
  5. Gallesio, p. 240. M. Goeze, Beitrag zur Kenntniss der Orangengewachse, 80, 1874, p. 13, cite d’anciens voyageurs portugais pour le même fait.